Autisme et écrans: l’arnaque DUCANDA
Ou comment j'en ai ras le bol d'entendre les thérapeutes dire des conneries
Je réagis aujourd’hui au lancer d’alerte de Réseau Bulle 62 sur Facebook, qui s’indigne à juste titre de l’invitation étendue par la ville d’Arras à Mme Ducanda pour parler de l’usage des écrans. Soit-disant, selon cette dame, les enfants deviendraient autistes à cause de l’usage des écrans.
Car c’est bien connu, l’autisme n’est pas un handicap qui survient à la naissance, c’est une maladie qu’on attrape, un peu comme la chtouille, quand on s’approche de trop près d’une tablette. Non? Non. C’est des foutaises.
Alors aujourd’hui, je vais te parler d’autisme, d’écrans, de diagnostics, et de tout ces conneries qu’on entend à longueur de journée de la part des gens, mais aussi de la part de ceux qui devraient être plus au fait des choses: les thérapeutes.
Assieds-toi, prends une boisson chaude, ça va gueuler.
Pour commencer, j’ai envie de dire haut et fort que ça commence à me fatiguer menu toutes ces conneries qu’on entend sur l’autisme. Quand il s’agit du gens lambda qui n’y connait rien et qui a entendu de la merde à la télé, je blâme les médias qui font n’importe quoi. Mais quand j’entends ces mêmes conneries sortir de la bouche de thérapeutes, ça me met hors de moi. Ce sont des gens qui sont PAYÉS pour aider nos enfants, et qui abondent dans le sens de toutes ces conneries? Sérieux?
En 2018, j’étais déjà agacée par tout ça. Je me retrouvais ces conneries affichées chez les thérapeutes de mes fils. Une honte. C’était au point où j’en avais une fois trouvé non pas une, pas deux, pas trois, mais QUATRE PROUTIN D’AFFICHES SUR LES ÉCRANS DANS LEUR PROUTIN DE SALLE D’ATTENTE.
Ce n’était plus juste de la connerie, là — ça devenait carrément du harcèlement.
Alors aujourd’hui, c’est le moment de remettre les points sur les i à propos des écrans et de l’autisme.
Est-ce que les écrans provoquent l’autisme?
Non. D’ailleurs, les autistes n’ont pas miraculeusement apparu en même temps que l’iPad, sinon on aurait juste pu pendre Steve Jobs par ses couilles pour faire plaisir aux psychanalystes, et ça aurait été réglé! Il y a eu des autistes de puis bien longtemps, bien avant que les écrans n’existent. D’ailleurs, mes enfants ont été diagnostiqués avant d’avoir des écrans.
Contrairement à ce qui est signifié par ces détracteurs des écrans, ces derniers sont très utiles pour aider les enfants autistes à faire des apprentissages.
Pour continuer, on ne « devient » pas autiste. On l’est à la naissance. C’est un handicap, pas une maladie. On est tout de même en 2021, il serait temps que les docteurs soient un peu informés sur toute une partie de la population (qui augmente ses chiffres de plus en plus, grâce aux diagnostics, et qui est probablement plus importante que ce que l’on croit vu que beaucoup de personnes, notamment les femmes, ne sont pas diagnostiquées à l’âge adulte, et que c’est tout un parcours du combattant pour l’être).
On stigmatise beaucoup les parents d’enfants autistes. Ce qu’on fait ne convient jamais — c’est toujours trop, ou pas assez. Tout le monde y va de sa petite critique acerbe, et quoi qu’on fasse, on est toujours de mauvais parents. Quand je dis « mauvais parents », je veux évidemment bien dire « mauvaises mères » car à cause de la psychanalyse, nous sommes dans l’esprit de toute la population les uniques responsables de l’autisme de nos enfants (mais bon, c’est un autre sujet, on y reviendra peut-être par la suite).
À cause de personnes comme le Dr Ducanda, on se retrouve à avoir encore plus de mal à se faire autoriser les tablettes et les ordinateurs pour nos enfants autistes à l’école. Pourtant, ce sont des aménagements auxquels ils ont droit, et qui leur sont infiniment bénéfiques pour leur éducation.
Sachant que pour leur avenir, nos enfants auront en plus besoin d’apprendre à utiliser les ordinateurs, les sites web, et tout ce qui a rapport à internet, pour leurs démarches, remplir des papiers administratifs, pour leur futur emploi peut-être… (car non, on n’est pas obligé de faire espaces verts ou cuisine quand on est autiste adulte)… je trouve ça encore plus lamentable. Je ne parle même pas du fait que ça nous permet d’avoir une vie sociale, qu’on n’aurait probablement pas autrement car c’est trop difficile! Voilà comment ajouter des difficultés à un handicap, au lieu d’utiliser des outils pour le compenser un peu.
À chaque avancée du monde, y’a toujours des vieux croûtons pour critiquer et accuser les « nouvelles technologies » de pourrir notre jeunesse. Il ne manque plus que quelques « c’était mieux avant » pour compléter le bingo de la pourriture argumentative de ce lot de ringards. Comme à l’époque des sorcières, on avilit ce qu’on ne comprend pas. Les jeux de rôle, les jeux vidéos, les écrans… Une copine me disait il y a quelques années (car non, ce n’est pas un sujet nouveau, ça fait un bail que ces gens nous escagassent) qu’à l’avènement du roman, on disait que les jeunes lisaient trop, que c’était dangereux et qu’il fallait limiter!
J’ai envie de faire un parallèle, peut-être malheureux, avec les gens de ma génération qui pourrissent les jeunes à cause des selfies et de toutes les nouveautés de leur génération. Comme si on n’avait pas profité de nos avancées technologiques à nous, à l’époque, alors que ça trouait le fion de nos parents et grand-parents!
J’en connais, des gens qui ont élevé leurs enfants grâce à la télé-nounou — enfants qui ne sont pas autistes. Et des enfants autistes à qui on a toujours limité les écrans, qui vivent dehors et se baladent dans les bois, qui font plein d’activités à l’extérieur. Pas un ou deux, hein… plein.
S’occuper le cerveau n’est pas une tare. Je suis heureuse pour mes enfants qu’ils n’aient pas deux bouts de bois dehors pour jouer, qu’ils aient du choix, du foisonnement. Qu’ils puissent aller vers ce qui les rend heureux, qui les intéresse, qui les cultive.
Y’en a marre des gens qui décident pour les autres ce qu’est la culture, d’ailleurs, qui passent leur temps à être négatifs, à critiquer les goûts et les passe-temps des autres, comme si eux seuls savaient la vérité vraie de la Culture™. Moi, perso, je leur dis merde (il parait que ça va avec tout).
À cause de la diffusion de ces foutaises, on passe notre temps à se prendre des remarques désagréables, et au minimum très gênantes. Les gens croient pouvoir se permettre de juger notre façon d’élever nos enfants, avec approximativement zéro recul sur nos difficultés et les avantages que les écrans peuvent apporter aux autistes.
Alors j’en viens aussi à une partie du coeur du sujet.
Je suis pour le CHOIX des parents sur l’éducation des enfants, autistes ou non.
Est-ce que les parents doivent être vigilants sur l’utilisation des écrans? Oui. Je peux vous garantir qu’avec un enfant autiste, nous les mamans on est à fond sur le sujet, on gère de la fougère, et on est les premières à faire attention à tout ce qui pourrait surhandicaper notre enfant. Parce qui est-ce qui se fade les difficultés au quotidien? C’est les thérapeutes? Non. C’est les connaissances? Non. C’est NOUS. C’est nous qui devons vivre avec un enfant qui souffre, qui a besoin qu’on soit là pour l’aider, et qui a besoin de nous pour adapter son environnement.
Laisse-moi te dire que si on s’en déchargeait sur les écrans, ça se verrait. Les mamans d’enfants autistes sont beaucoup plus présentes que les mamans d’enfants normaux, par nécessité. Les mamans d’enfants autistes sont souvent obligées de faire énormément de sacrifices, pour pas beaucoup de reconnaissance. Si par malheur nos enfants sont difficiles, c’est « parce qu’on ne fait rien, qu’on est démissionnaires ». Si par contre ils sont plus faciles que les autres, « on se la coule douce ».
Tu verrais mes enfants aujourd’hui, c’est deux jeunes ados qui gèrent plutôt bien leur quotidien. Je peux te dire que si tu viens me dire « oui mes les tiens ils sont faciles », ça va pas rouler. Oui, ils sont plus facile que d’autres ados autistes de leur âge et même par rapport à certains ados sans handicap d’ailleurs — mais c’est pas venu tout seul, y’en a eu du boulot pour en arriver là, et sans aide de personne!
Ça m’est égal si les parents laissent les enfants jouer avec les écrans ou pas. Chacun fait ce qui lui semble le mieux pour ses enfants, et c’est normal. Si tu me disais que tu as pas envie que ton fils utilise les écrans, jamais, ben c’est ton choix, moi ça me regarde pas. C’est entre toi et lui, en fait. Perso, j’ai une éducation différente avec les miens, c’est tout.
Par contre, les thérapeutes: vos mouilles.
J’en ai ras-le-bol du fait qu’on se retrouve comme des mauvais parents d’autoriser les écrans, en particulier en salle d’attente, là où nos gosses hurlent à la mort parce qu’ils se font chier comme des rats morts d’attendre 30 minutes le thérapeute en retard, et qu’ils n’ont pas envie de jouer avec le puzzle unique auquel il manque des pièces, et le vieux Voici de 1997. Peut-être qu’il faudrait déjà être instruit dans les handicaps que vous prenez en charge, au lieu d’adhérer à toutes ces conneries.
On est déjà jugés sur tout en tant que parents d’enfants autistes. Le degré de handicap (comme si on y pouvait quelque chose), les vêtements, l’alimentation, l’attention à l’école, les difficultés de communication… Tout ce qui est pas parfait, c’est ta faute en tant que parent, parce que tu gères comme un manche, tuvouas. Il faudrait que nos enfants handicapés soient plus parfaits que les enfants qui ont pas de handicap. Ça me gave, tout ça, mais d’une force!
Alors, non, les écrans ne causent pas l’autisme. Faut-il être ignorant pour dire un truc pareil, faut-il n’avoir rien lu sur l’autisme!
Certains enfants peuvent avoir des difficultés à lâcher les écrans, oui, mais c’est le cas de plein d’autres jeux. Je me rappelle de mon fils Matthieu qui hurlait à la mort quand je lui demandais de ranger ses jouets (des puzzles et des Duplos, y’avait pas d’écran dispo pour lui à l’époque).
Il ne devrait pas y avoir de jugement. Les thérapeutes ne se rendent pas compte de notre vie et de nos difficultés — ils ne les vivent pas.
À côté de ça, on se retrouve seuls face à des difficultés très dures à surmonter, parce que la société ne nous aide pas. La plupart des thérapeutes n’ont pas de solutions à nos problèmes, ou des solutions pas praticables. Par contre, des conseils nuls de ce style, on n’en manque pas!
Ce qui serait bien, ce serait d’apporter l’aide QU’ON DEMANDE, pas l’aide qu’ils pensent qu’on doit avoir.
Une copine me disait (je paraphrase) que ça serait bien si les gens qui prétendent nous aider venaient passer une journée avec nous, pour voir, avant de nous proposer des trucs qui nous conviennent pas, au lieu de nous écouter quand on leur dit que non, ça ne va pas.
Combien de fois ai-je dû passer pour une difficile en refusant leurs conseils…!
Une journée avec nous, ça serait pas assez. Ils ne sauraient pas ce que j’ai vécu avec deux enfants qui dormaient jamais et qui hurlaient tout le temps à la mort sans que je puisse les apaiser. Ils ne sauraient pas ce que j’en ai chié avec un enfant qui ne mangeait rien. Ils ne sauraient pas ce que c’est que de passer ses journées en salle d’attente, de ne pas avoir de vie. Ils ne sauraient pas ce que c’est que de ne pas pouvoir lâcher son téléphone deux minutes parce que l’école appelle à l’improviste au bout d’une heure pour que tu ailles chercher ton gosse, qu’ils n’arrivent pas à gérer. Ils ne sauraient pas la pression qu’on te met pour que ton enfant fasse mieux que des enfants qui ont pas de handicap, etc.
Même un mois avec nous, ça ne donnerait pas une bonne idée du stress et des difficultés d’années de traumatisme. Et je ne parle même pas de mes enfants, là je parle juste de moi, la maman, et de mon expérience. Parce que oui, c’est eux qui sont handicapés, mais ça reste moi qui en suis responsable.
Ils ne le vivent pas. Ils ne voient que de l’extérieur, quelques minutes par semaine quand ils nous croisent en salle d’attente. Et ils ont l’audace de porter des jugements.
J’aime mes enfants, je veux le mieux pour eux. C’est moi qui sais ce qu’il y a de mieux pour eux, pas les autres. Et je n’ai pas besoin qu’on m’apporte de l’aide que je n’ai pas demandé, surtout quand sur les autres points où je souhaiterais qu’on me soutienne je me retrouve à devoir me démerder toute seule.
J’en ai marre qu’on nous infantilise et qu’on décide à notre place. Qu’on juge. À ce point, ce n’est plus juste des conseils, c’est du harcèlement. Peut-être que ce serait bien d’attendre de voir si on est des parents démissionnaires ou irresponsables avant de nous surveiller.
Foutez-nous la paix. Foutez la paix à nos enfants. Ils ont un handicap, la vie est difficile — ne retirez pas les plaisirs qu’ils peuvent avoir, les aménagements qui peuvent les aider, les solutions qu’on trouve pour eux.
Et instruisez-vous.